Faculté/Plus de professeurs, plus de livres?

 

Imaginez une professeure universitaire arrivant à 10 heures pour donner son cours de premier cycle en sciences de la gestion à environ 300 étudiants. De brillants jeunes étudiants en chandail à capuchon sont assis sur des chaises numérotées faisant face à notre professeure qui est en train d’arpenter l’estrade pour écrire de l’information sur le tableau ou, si la salle est dotée d’équipement audiovisuel, de manipuler une souris connectée à un tableau blanc interactif.

Avant de parler, la professeure scrute la pièce pour voir si les jeunes hommes et femmes sont alertes et attentifs ou si un certain nombre sont affaissés dans leur chaise, en train d’envoyer des messages texte, d’utiliser Facebook ou s’ils ne tiennent pas compte de sa présentation pour une autre raison. A-t-elle échoué à susciter l’attention de ses étudiants? Si oui, pourquoi? L’aspect théorique de la matière est-il le problème? La classe est-elle trop nombreuse? Son charisme à titre de professeure est-il inadéquat? Aurait-elle dû raconter plus de blagues et d’anecdotes? Le problème réside peut-être dans le contexte et le format du cours Qu’il y ait un manque de charisme ou non, le modèle du professeur en tant que figure d’autorité lointaine présentant la matière avec plus ou moins d’éloquence depuis une estrade pourrait être désuet.

Les étudiants distraits ou indifférents ne sont rien de nouveau. L’envoi de messages texte n’est qu’une version numérique des notes passées en classe, de la lecture de bandes dessinées cachées sous le bureau ou du gribouillage dans les marges d’un carnet à reliure spirale. Mais les enseignants, qui sont la plupart des immigrants du numérique, sont confrontés à de nouveaux défis, comme apprendre à utiliser la technologie de façon efficace plutôt que de simplement utiliser de nouveaux outils pour faire les mêmes choses qu’avant. Et, bien sûr, la recherche démontre que les jeunes étudiants ont une capacité d’attention limitée.

« J’aime l’idée qu’un professeur vous donne quelque chose qui vous fera réfléchir, sans que ce soit un devoir. »

- Lily Tomlin as "Edith Ann"

Dans plusieurs salles de cours universitaires, le rôle du professeur est en train d’évoluer pour passer de conférencier à animateur. Les enseignants animent des discussions et agissent à titre de mentors, tandis que les étudiants encadrent leurs paires, effectuent des jeux de rôle et collaborent en petits groupes sur des projets fondés sur la résolution de problèmes. D’une certaine façon, cette façon de faire est une adaptation de l’ancienne méthode socratique où un professeur se promène parmi les étudiants pour encourager l’interrogation et le débat alors qu’ils mettent à l’épreuve le fondement logique de leurs idées et des solutions possibles à des problèmes. Il s’agit d’une méthode dialectique, souvent composée d’une série de questions qui aident l’étudiant à découvrir des hypothèses tacites, mais contestables, une interrogation qui permet d’approfondir la pensée critique et la compréhension.

Un corollaire du professeur en tant que mentor ou guide est l’étudiant en tant que partenaire qui participe activement à sa propre éducation. L’étudiant de la génération Z ne se voit pas comme un récipient passif devant être rempli jusqu’au bord des connaissances accumulées du « sage sur l’estrade ». Et les enseignants reconnaissent de plus en plus l’efficacité du dialogue et la pertinence de la méthode « constructiviste », où les étudiants sont impliqués de façon active et encouragés à faire preuve d’indépendance et de responsabilité. Les étudiants collaborent sur des expériences, des projets de recherche, des simulations et d’autres projets de pédagogie active, qui sont axés autant sur les compétences sociales et la communication que le partage d’idées et l’information.

La formation de petits groupes actifs – plutôt que de demander aux étudiants d’écouter passivement – améliore la compréhension et la rétention, et ce, particulièrement dans les classes de catégorie STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) où le style-conférence préconisé déplaît à de nombreux étudiants et entraîne un taux élevé d’abandons. Le tiers des étudiants qui s’inscrivent à l’université souhaitent avoir un diplôme avec une spécialisation dans un domaine de catégorie STIM, mais moins de la moitié y parviennent. Selon un article du Washington Post, certains migrent vers les lettres et les sciences humaines tandis que d’autres abandonnent simplement leurs études, ce qui a convaincu des institutions comme l’Université Johns Hopkins à Baltimore et l’Université Harvard à Boston de repenser le style magistral afin de créer un environnement de classe plus interactif.[7]

Effectivement, l’interaction et la collaboration n’ont pas besoin d’arrêter lorsque les étudiants quittent la salle de classe. Les campus d’aujourd’hui offrent suffisamment de soutien numérique pour favoriser l’enseignement en tout temps et partout sur le campus. Et pour les natifs du numérique, passer à une formation d’enseignement ayant recours à la technologie semble tout à fait naturel. Cependant, des recherches indiquent que certains étudiants (et de nombreux enseignants) voient la salle de classe comme un emplacement idéal pour la collaboration et la discussion, pas pour la technologie, et considèrent les bibliothèques et les salons de résidences étudiantes comme des endroits qui conviennent mieux aux études concentrées. L’importance de l’enseignant dans la salle de classe n’est pas diminuée; il s’agit d’un changement de direction plutôt que d’intensité.

Gensler, la firme mondiale d’architecture, de design, de services-conseils et de planification, a effectué une étude pour identifier les attributs clés des environnements d’enseignement supérieur. Selon son livre blanc « Changing Course », « si la collaboration est une partie importante du processus d’apprentissage, sa place est dans la salle de classe où des professeurs peuvent animer et diriger la conversation. Il est peu probable que les étudiants le fassent par eux-mêmes en raison de leurs préférences, et parce qu’ils considèrent le travail en équipe à l’extérieur de la classe comme peu productif ».[8] Les étudiants trouvent les groupes de travail frustrants et non productifs lorsqu’un ou deux étudiants dominent la conversation, tandis que d’autres ne font qu’être des « passagers » ou dévient le groupe du sujet de la rencontre.

Maintenant que tout le monde est en mesure de télécharger du contenu, les compétences de l’enseignant sont encore plus importantes. Et ce n’est pas un corollaire nécessaire que les « meilleures » universités (souvent qualifiées ainsi en raison de la quantité de recherche publiée) ont les meilleurs professeurs. Les enseignants de premier plan guident les étudiants en leur posant des questions qui les mènent à développer leur pensée critique et à arriver à leurs propres conclusions. Les excellents professeurs comprennent que la technologie devrait soutenir leur travail, et qu’elle ne devrait pas en être le centre d’intérêt. Une faible technicité est parfois plus efficace qu’un éventail d’équipement. De plus, la technologie devient obsolète rapidement, alors qu’un enseignant talentueux évolue avec les développements pédagogiques et les nouvelles connaissances.

Si de nombreux professeurs voient la technologie comme une bénédiction pour leur profession, de nombreux autres la voient comme une arme à double tranchant. Les membres de la génération Y et les natifs du numérique s’attendent à plus de conseils et de rétroaction que les membres des générations précédentes : de leurs supérieurs au travail dans le cas des post-boomers (Y) et de leurs enseignants dans le cas des natifs du numérique. Les étudiants peuvent envoyer des courriels et des messages instantanés à leurs professeurs en tout temps et depuis tout lieu. Ils le font d’ailleurs, ce qui complique davantage la gestion du temps des membres de la faculté.

Selon un article du New York Times, les attitudes des enseignants envers la technologie et leurs étudiants natifs du numérique sont complexes et souvent contradictoires. Fondé sur deux études – une du Pew Research Center et une autre menée par Common Sense Media –, l’article du Times insiste sur le fait que le point de vue des enseignants est subjectif, mais également significatif, car ces derniers passent beaucoup de temps à observer et à évaluer les capacités d’apprentissage des étudiants avec qui ils collaborent.

« Je suis une amuseuse. Je dois chanter une chanson et danser pour saisir leur attention », raconte Hope Molina-Porter, une professeure d’anglais de 37 ans de l’école secondaire Troy de Fullerton, en Californie, qui enseigne depuis 14 ans. Elle enseigne à des étudiants du programme accéléré, mais a remarqué un déclin marqué relativement à la profondeur et à l’analyse dans les travaux écrits des étudiants.

« (Mme Molina-Porter) a dit qu’elle ne voulait pas reculer devant le défi que représente susciter leur intérêt, tout comme les autres enseignants interviewés, mais elle s’inquiétait du fait que la technologie était en train de changer la façon d’apprendre des étudiants. Elle se demandait également si les enseignants ne faisaient qu’aggraver le problème en modifiant leurs cours en fonction de la durée d’attention limitée des étudiants. »[9]

D’autres sondages auprès des professeurs universitaires dénotent un désir de beaucoup d’entre eux « d’éteindre la technologie » dans la salle de classe, ainsi qu’un souci que l’utilisation de la technologie depuis l’enfance ait réduit l’habileté intellectuelle des étudiants et leur volonté de consacrer du temps pour réfléchir à des problèmes ou explorer un sujet. Kay Sargent, vice-présidente, Architecture, design et stratégies en milieu de travail pour Teknion, qui a également enseigné des cours au niveau universitaire, constate que les « rapports de recherche » d’aujourd’hui sont souvent des extractions de données d’Internet « avec peu ou aucune réelle recherche, pensée originale ou critique, exploration des idées ou conclusion novatrice ».

S’ils sont probablement encore en mesure d’accomplir des tâches intellectuelles autrefois considérées comme élémentaires, les étudiants utilisant la technologie sont peu enclins à le faire. De la même façon que la calculatrice a éliminé le besoin de faire des divisions non abrégées, les fonctions de vérification orthographique réduiront-elles la capacité d’épeler et :

• les courriels entraîneront-ils la disparition de l’écriture cursive;
• les messages texte inhiberont-ils notre capacité (ou notre désir) de parler face à face;
• le langage des textes affaiblira-t-il les capacités d’écriture nécessaires pour respecter des normes académiques ou se faire respecter en milieu de travail;
• l’utilisation du GPS créera-t-elle une génération dépourvue d’un sens de la direction; et
• Google remplacera-t-il le besoin de se creuser la cervelle? Après tout, nous pouvons simplement consulter Google!

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